En ce mois de mai, je vous propose un dossier sur les pensées. Les pensées sont l’une des cibles principales des interventions de la thérapie cognitive-comportementale et de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT).
Puisque les pensées sont généralement composées de phrases et de mots, ce premier article aborde le rôle du langage dans la souffrance humaine1
Le côté lumineux du langage
Comme la Force (oui oui, celle de Star Wars), le langage a un côté sombre, mais il a aussi un incroyable côté lumineux.
Non seulement il a été l’une des pierres angulaires de notre évolution comme espèce, mais il nous est utile à plusieurs niveaux. Il nous permet par exemple de 2 :
- Réfléchir à des concepts autant concrets qu’abstraits
- Régler des problèmes
- Imaginer et créer
- Partager nos connaissances
- Apprendre sans expérimenter soi-même
- Continuer à faire des actions dont les conséquences positives sont éloignées dans le temps (p. ex. étudier jusqu’à son diplôme, travailler pour recevoir sa paye dans 2 semaines)
Le côté sombre du langage
Même si le langage nous est d’une grande utilité, il a aussi une part de responsabilité dans la souffrance humaine. Plusieurs particularités contribuent à créer cette souffrance :
- Il peut susciter les mêmes émotions qu’un objet ou un événement réel
- Il est composé d’une infinité de liens entre ses concepts
- Il domine sur notre expérience réelle
- Il entraîne souvent une déconnexion avec le moment présent
Le langage suscite les mêmes émotions qu’un objet ou un événement réel
Essayez d’imaginer le mieux possible le scénario suivant :
Vous vous apprêtez à manger un gâteau au chocolat avec un glaçage au chocolat. Lorsque vous ouvrez la boîte, une odeur délicieuse de chocolat s’en dégage. Vous plantez délicatement votre fourchette dans le gâteau et vous observez à quel point il a l’air moelleux et décadent. Puis, vous goûtez le gâteau. Vous expérimentez le délicieux mélange du goût du glaçage et celui du gâteau, la texture légère et moelleuse du gâteau et l’aspect parfaitement crémeux du glaçage.
Avez-vous très envie de manger un gâteau au chocolat maintenant? Moi oui! Pendant la lecture, avez-vous salivé? Avez-vous « senti » le chocolat et « vu » la texture du crémage? Il y a de fortes chances que oui.
Et pourtant, il n’y avait aucun gâteau au chocolat devant nous. Seulement un gâteau imaginé par notre esprit. Donc, ce que nous pensons ou imaginons devient presque réel, et nous y réagissons comme si l’objet était bien présent.
Dans le cas du gâteau, pas de problème. Par contre, pensons à ce qui nous fait peur ou à des situations douloureuses que nous avons vécues dans le passé. Le langage fait en sorte que nous pouvons vivre des émotions douloureuses, comme si l’objet de notre peur était présent ou que l’événement douloureux était en train de se produire.
Le langage crée des liens
Non seulement ce à quoi nous pensons devient bien réel, mais ces pensées peuvent survenir à tout moment dans nos vies parce que le langage est formé d’une infinité de liens entre des concepts.
Par exemple, si je vous demande de faire un lien entre une patate et une pièce de bois 2×4, à quoi pensez-vous? Ou encore entre des céréales et le clavardage? Un appareil photo et l’autonomie?
À priori ces concepts n’ont pas de liens entre eux, mais les chances sont que vous avez réussi à en trouver.
Il est donc possible qu’à tout moment, un événement, un objet, une musique, une personne ou même une autre pensée, nous fasse penser à un événement douloureux, à une peur, à quelque chose qui nous met en colère.
Le langage domine sur notre expérience réelle
De façon générale, nous prenons nos pensées pour des faits, des vérités ou des évidences. Cela a pour effet que nous agissons en prenant pour acquis qu’elles sont « vraies » peu importe les faits réels ou les conséquences qu’elles ont sur nous.
Par exemple, imaginons une personne qui a très envie d’avoir une relation amoureuse et qui a la pensée qu’elle n’est pas intéressante. Toutes ses actions ou ses non-actions sont en fonction de cette pensée : elle ne fait pas d’actions pour rencontrer de nouvelles personnes, elle refuse les invitations et elle évite de parler à des gens qui l’intéressent.
Non seulement ses actions (ou absence de) l’éloignent de ce qu’elle désire, mais puisqu’elle ne rencontre personne, elle se sentira confirmée dans sa pensée qu’elle n’est pas intéressante. Ceci va la pousser à faire encore les mêmes actions qui la rendent pourtant malheureuse.
Le langage nous déconnecte du moment présent
Lorsque vous étiez en train de saliver en pensant au gâteau, étiez-vous dans le moment présent? Saviez-vous où vous étiez, ce qu’il y avait autour de vous? Entendiez-vous les sons, sentiez-vous les odeurs?
Probablement pas. Et lorsque vous êtes en train de penser au passé ou au futur, à vous inquiéter de ce qui va se passer, l’êtes-vous? Probablement pas non plus.
Puisque les pensées sont si réelles, que nous les « vivons » plutôt que les observons et qu’elles peuvent apparaître à tout moment dans notre vie, nous profitons très peu du moment présent. Et le moment présent, c’est là où se passent nos vies et où se trouvent nos sources de satisfaction et de bonheur.
Passez à l’action
Et vous, votre langage et vos pensées sont-ils généralement tournés vers le futur ou vers le passé, ou les deux?
Dans les prochaines semaines, je vous partagerai des exercices pour apprendre à observer nos pensées et à prendre de la perspective par rapport à elles.
- Basé sur la théorie des cadres relationnels, l’une des théories sur laquelle s’appuie la thérapie ACT.
- À noter que certains aspects énumérés plus bas sont aussi possibles sans langage, par exemple apprendre par observation, mais que le langage en augmente les possibilités